Un indicateur taillé sur mesure : l’INAF – pour évaluer les niveaux d’alphabétisation

Roberto Catelli Jr.
Ação Educativa
Brésil


 

 

 

Résumé Cet article fait l’analyse d’une expérience menée au Brésil et visant à mettre en place et en pratique l’indicateur d’alphabétisation fonctionnelle (INAF) en tant qu’instrument de mesure des niveaux d’alphabétisation. Cette méthode facilite le débat sur l’analphabétisme et peut être utilisée pour améliorer les politiques éducatives publiques pour les jeunes et les adultes. L’étude constate un recul de l’analphabétisme absolu au Brésil entre 2001 et 2015, mais enregistre également un nombre important de personnes possédant un niveau d’alphabétisation rudimentaire.


Les nouvelles recherches sur les niveaux d’apprentissage ont commencé en Europe et aux États-Unis dans les années 1980. Le débat portait sur les changements économiques et sociaux intervenus pendant la seconde moitié du 20e siècle. Pendant cette période, bon nombre de processus et de conditions d’insertion sur le marché du travail ont changé, et ce à la fois dans les pays riches et dans les économies périphériques, notamment en Amérique latine. Ces changements ont entraîné une réorganisation des processus éducatifs, mettant en évidence le problème posé par les faibles niveaux d’éducation. La recherche a permis d’élaborer des stratégies visant à créer des processus pédagogiques et d’évaluation pouvant fournir des informations sur les connaissances effectivement acquises par les jeunes et les adultes, tout en tenant compte de leurs besoins personnels et professionnels.

Des organismes internationaux comme l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont formulé des concepts, des méthodes d’évaluation et des politiques en matière d’alphabétisation et d’éducation des adultes, notamment après l’adoption du concept d’éducation tout au long de la vie, mettant ainsi un terme à une vision qui considérait l’éducation des jeunes et des adultes comme une politique purement compensatoire.

L’OCDE1 a présenté les résultats de sa première Enquête internationale sur l’alphabétisation des adultes (EIAA) en 1995. Cette évaluation a été réalisée en 1994 auprès de jeunes et d’adultes de 16 à 65 ans originaires du Canada, de France, d’Allemagne, des Pays-Bas, de Pologne, de Suisse, de Suède, d’Irlande et des États-Unis. L’EIAA est devenu le premier profil d’alphabétisation de la population adulte et a permis d’établir des comparaisons entre plusieurs pays.

« L’INAF analyse les niveaux d’alphabétisation dans le but d’influencer le débat sur le développement de l’éducation dans le pays et de contribuer à redéfinir l’analphabétisme, qui ne peut être réduit à une notion binaire de lecture et d’écriture. »

Les premiers résultats indiquaient que de nombreux pays devaient développer des stratégies visant à améliorer le niveau d’alphabétisation de leurs populations. En Pologne, au Canada francophone et aux États-Unis, la moitié de la population ou plus se plaçait aux deux niveaux les plus bas dans le domaine de la compréhension de textes schématiques2. Le Canada francophone, la Pologne et la Suisse présentaient des résultats négatifs dans le domaine de la compréhension de textes suivis. Enfin, la Pologne et le Canada francophone obtenaient les résultats les plus mauvais dans le domaine des textes au contenu quantitatif3. Dans tous les pays néanmoins, un pourcentage élevé de personnes avait un faible niveau d’alphabétisation, ce qui confirmait le besoin de stratégies nouvelles visant à améliorer le niveau d’alphabétisation de la population globale tout en tenant compte des nouvelles exigences du marché du travail.

La création de l’INAF au Brésil

Les résultats de l’OCDE ainsi que l’initiative de l’UNESCO axée sur l’étude de ce que l’on appelait l’alphabétisation fonctionnelle en Amérique latine ont abouti, au Brésil, à la création de l’indicateur d’alphabétisation fonctionnelle (INAF) coordonné par l’ONG Ação Educativa et l’Institut Paulo Montenegro.

En 1998, Ação Educativa a participé à l’Atelier régional du Bureau régional d’éducation pour l’Amérique latine et les Caraïbes (OREALC) afin d’analyser les niveaux d’alphabétisation dans la région, en se concentrant plus particulièrement sur les adultes. Depuis, Ação Educativa a développé une méthode qui permet de mesurer le niveau d’alphabétisation des 15 à 64 ans, en collaboration avec l’Institut Paulo Montenegro. L’INAF n’a pas été créé dans le but d’analyser le processus d’insertion des Brésiliens sur le marché national du travail, mais plutôt en tant qu’instrument susceptible d’aider à défendre les droits des Brésiliens à l’éducation et de stimuler le débat sur l’éducation dans le pays (Ribeiro 2015).

L’INAF analyse les niveaux d’alphabétisation dans le but d’influencer le débat sur le développement de l’éducation dans le pays et de contribuer à redéfinir l’analphabétisme, qui ne peut être réduit à une notion binaire de lecture et d’écriture (c.-à-d. x nombre de personnes ne sachant ni lire ni écrire). Les instruments qui cherchaient à saisir la complexité du phénomène ont été formulés à la fois en termes de capacités cognitives et de pratiques sociales dans différents contextes d’expérience de vie des jeunes et des adultes. Ces instruments ont été utilisés sur le terrain pour la première fois en 2001 et ont pu fournir des informations sur le degré d’alphabétisation de la population brésilienne.

L’étude est organisée autour d’un test cognitif et d’un questionnaire contextuel. Les interviews ont été menées pour la première fois en 2002 dans l’ensemble du pays, tant en zones urbaines que rurales, et auprès de personnes âgées de 15 à 64 ans. Les interviews sont réalisées chez les gens, et les résultats sont établis en se basant sur la théorie des réponses aux items4 afin de créer une échelle de mesure des compétences.

« Les résultats ont révélé que la majorité des Brésiliens n’utilisent que très peu la lecture et l’écriture sur leur lieu de travail. »

Les items qui constituent le test d’alphabétisation impliquent la lecture et l’interprétation de textes de tous les jours (nouvelles, instructions, textes narratifs, graphiques, tableaux, cartes et publicités). Le questionnaire contextuel aborde les caractéristiques sociodémographiques et les pratiques de lecture, d’écriture et d’arithmétique que les gens accomplissent dans leur vie quotidienne.

Ce que révèlent les chiffres

Les études ont été réalisées chaque année entre 2001 et 2005, en mettant alternativement l’accent sur la lecture, l’écriture et l’arithmétique. Depuis 2007, les avancées méthodologiques ont permis d’intégrer ces deux dimensions dans la même banque d’items et sur la même échelle de compétences. Depuis, l’étude nationale a été menée tous les deux ans et le champ de réalisation étendu à trois ans à partir de 2011.

L’observation des séries chronologiques des résultats de l’INAF permet de réfléchir sur l’importance que l’éducation des adultes pourrait avoir pour les jeunes et les adultes, et d’en tirer des conclusions pour la conception de programmes d’enseignement et d’offres d’apprentissage pour ce groupe.

Les résultats obtenus après plus d’une décennie révèlent un fort recul du nombre d’analphabètes, passant de 12 % à 4 %. En termes de niveau d’alphabétisation, cela signifie qu’un nombre nettement plus élevé de Brésiliens parviennent à utiliser la lecture, l’écriture et l’arithmétique au quotidien, même à un niveau rudimentaire. Au cours de cette même période, on a enregistré un léger recul – 27 % à 23 % – du pourcentage de personnes ayant un niveau d’alphabétisation rudimentaire, ce qui veut dire que plus d’un quart de la population avait des difficultés considérables à utiliser la lecture, l’écriture et l’arithmétique pour résoudre des problèmes de la vie courante – p. ex. comprendre une information sur une affiche ou une brochure, ou même savoir calculer le prix d’une marchandise ou le taux d’intérêt le plus bas lors d’un achat.

Il convient également de noter que nous avons observé une stagnation, à partir de 2009, de l’augmentation des personnes pouvant être considérées comme des alphabètes fonctionnels en termes de lecture et d’écriture. Dans l’étude de 2001-2002, 61 % des répondants étaient considérés comme alphabètes fonctionnels, passant à 66 % en 2007. Dans les trois études réalisées entre 2009 et 2015, le pourcentage d’alphabètes fonctionnels s’est maintenu à 73 %, ce qui veut dire que selon l’INAF, 27 % de la population étaient fonctionnellement analphabètes en 2015.

L’école n’est pas une garantie

L’INAF de 2015 indique également que parmi les personnes qui ne sont jamais allées à l’école, 46 % des répondants avaient un niveau d’alphabétisation rudimentaire ou élémentaire (8 %). C’est-à-dire que ces personnes étaient capables d’utiliser la lecture et l’écriture dans certaines activités quotidiennes, bien qu’elles aient acquis ces compétences dans des environnements non scolaires comme la famille, la formation professionnelle ou l’éducation non formelle.

En revanche, seuls 40 % de ces répondants ayant fait des études secondaires se situaient aux deux niveaux les plus élevés de l’échelle d’alphabétisation de l’INAF, ce qui prouve que le fait d’avoir fréquenté l’école ne garantit pas que l’on ait les compétences suffisantes pour utiliser la lecture et l’écriture dans les différents contextes de la vie quotidienne.

Une étude spéciale menée par l’INAF en 2015 s’est traduite par une recherche visant à savoir si les activités du marché du travail pouvaient elles aussi contribuer à accroître les niveaux d’alphabétisation. Les résultats ont révélé que la majorité des Brésiliens n’utilisent que très peu la lecture et l’écriture sur leur lieu de travail. 41,5 % des répondants n’avaient rien lu au cours des trois derniers mois au travail, et 21 % ont déclaré ne rien avoir lu chez eux au cours des trois derniers mois. Seuls 3 % utilisaient l’e-mail au travail ; 21 % utilisaient les fonctions agenda et calendrier ; 2 % seulement lisaient des formulaires et 3,5 % des messages. Il est donc évident que le lieu de travail ne constitue pas un espace dans lequel l’utilisation de la lecture et de l’écriture peut contribuer à améliorer le niveau d’alphabétisation de la majorité des Brésiliens.

Des questions difficiles

Les évaluations effectuées par l’OCDE depuis les années quatre-vingt-dix ont pour principal objectif l’insertion des citoyens sur le marché du travail, en fonction de leur niveau d’alphabétisation. L’INAF a déjà fourni des résultats qui contribuent au débat sur les droits d’accès à la société alphabétisée. Demandons-nous comment ces études peuvent faire avancer le débat sur la formulation de programmes d’enseignement ou de programmes extrascolaires pour les jeunes et les adultes : comment mieux focaliser les programmes pour les jeunes et les adultes sur les vrais problèmes de la vie, sans devoir revenir à la conception d’itinéraires d’apprentissage conçus comme des stratégies pédagogiques pour les enfants ? Comment faire en sorte que la majorité des personnes identifiées comme analphabètes fonctionnels puissent utiliser la lecture, l’écriture et l’arithmétique, ainsi que les connaissances scientifiques et les sciences humaines, pour accéder plus facilement à la société alphabétisée ?

Les réponses ne sont certes pas simples, mais une analyse plus précise des rapports basés sur ces évaluations, une analyse de certains éléments de preuve et les profils des personnes concernées pourraient aider à cerner les particularités des apprenants adultes dans notre pays et à identifier les carences en compétences, afin que les gens puissent vivre de manière plus autonome dans une société alphabétisée. Ceci permettrait peut-être de proposer des offres plus pertinentes aux jeunes et aux adultes, à la fois en milieu scolaire, extrascolaire et professionnel. Ce dernier pourrait être également un domaine riche en offres de formation, voire même encourager la création de stratégies utilisant davantage la lecture et l’écriture pour mener à bien des tâches dans divers champs d’activités.


Notes

1 / L’OCDE, fondée en 1948, est une organisation internationale regroupant 34 pays. En Amérique latine, le Mexique et le Chili en font partie. Cette institution prône le marché libre afin de solutionner les problèmes auxquels sont confrontés ses membres. C’est dans cet objectif que sont menées des études comparatives dans divers domaines économiques, y compris les rapports avec l’éducation.

2 / Connaissances et compétences requises pour repérer et utiliser l’information présentée sous diverses formes, entre autres les demandes d’emploi, les fiches de paie, les horaires de transport, les cartes routières, les tableaux et les graphiques.

3 / À part l’arithmétique et la géométrie, la compréhension de textes au contenu quantitatif inclut aussi la logique, l’analyse de données et la probabilité. Elle permet d’analyser des faits, de lire des graphiques, de comprendre des arguments logiques, de détecter les erreurs logiques, de comprendre des éléments de preuve et d’évaluer les risques. Comprendre des textes au contenu quantitatif, c’est savoir raisonner et penser.

4 / La théorie des réponses aux items (TRI) est un moyen d’analyser les réponses à des tests ou à des questionnaires dans le but d’améliorer la précision et la fiabilité des mesures. Si vous voulez que votre test mesure réellement ce qu’il est censé mesurer (c’est-à-dire la capacité mathématique, la capacité de lecture d’un élève ou ses connaissances historiques), le TRI est un moyen de développer vos tests


Références

Ribeiro, V. M. ; Lima, A. L. et Gomes, A. A. B. (Orgs.) (2015) : Alfabetismo e letramento no Brasil: 10 anos do Inaf. São Paulo: Global/Ação Educativa.


Lectures complémentaires

Benton, L. et Noyelle, T. (1992) : Adult Illiteracy and Economic Performance. Paris : OCDE.

Haddad, S. et Ribeiro, V. M. (1997) : Alfabetismo e analfabetismo funcional. Camponas : Cadernos Cedes.

Murray, T. S. ; Kirsch, I. S. et Jenkins, L. B. (1998) : Adult Literacy in OECD Countries : Technical Report on the First International Adult Literacy Survey. Washington : Department of Education.

OCDE (2005) : Learning a living: First results of the Adult Literacy and Life Skills Survey (2005). Ottawa/Paris : Statistics Canada, OCDE.

Ribeiro, V. M. (1999) : Alfabetismo e atitudes. Campinas : Papirus.

Tiana Ferrer, A. (2009) : ¿Qué sabemos hoy acerca de la evaluación de los aprendizajes de jóvenes y adultos? Una perspectiva internacional. Dans : Evaluación de aprendizajes en alfabetización y educación de adultos. Madrid : OEI.


L’auteur

Roberto Catelli Jr. est détenteur d’un master en histoire économique de l’université de São Paulo (1993) et d’un doctorat en éducation de la faculté d’éducation de l’université de São Paulo. Il est coordinateur du programme d’éducation des jeunes et des adultes de l’Ação Educativa, coordinateur de l’indicateur d’alphabétisation fonctionnelle (INAF), et éditeur.

Contact :
catelli.roberto@gmail.com

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