Maria do Carmo Santos Domite

Cette étude a pour objectif de mettre en relief la relation double qui existe entre le dialogue et l’action. Pour y parvenir, je me suis penchée sur la problématisation et la formulation de problèmes dont la relation est du même type. La problématisation est un mécanisme cognitif (qui n’est pas encore clairement défini) partagé entre la formulation de questions et la recherche de réponses en ce qui concerne une chose dont on espère qu’elle deviendra un problème. En partant de la problématisation comme point de départ de la formulation de problèmes, j’ai axé cette étude sur un double objectif: premièrement, pour montrer que poser des questions est fondamental si l’on veut apprendre et deuxièmement, pour examiner d’un œil critique le point de vue selon lequel on pourrait suggérer qu’une problématisation reposant au départ sur une situation réelle puisse servir à un type d’enseignement des mathématiques dans le cadre duquel on attacherait de l’importance à l’expérience acquise dans la vie pour développer les connaissances en mathématiques des apprenants. Les différentes attitudes des élèves d’une classe de sixième où la problématisation et la formulation de problèmes sont des éléments du processus d’enseignement et d’apprentissage illustrent ceci. L’auteur travaille à la faculté d’éducation (champ de recherche: éthnomathématiques) de l’université de Saõ Paolo au Brésil.

Formulation de problèmes et problématisation dans l’apprentissage et l’enseignement des mathématiques

Cet article se penche sur le rôle de la formulation de questions dans l’apprentissage des mathématiques. En d’autres termes, il tente de révéler que poser des problèmes, en particulier pour les élèves, constitue un moyen efficace pour que l’apprentissage s’avère positif. Il est important de souligner que ce débat se fonde sur l’hypothèse selon laquelle, à mes yeux, l’acquisition du savoir implique que l’on se penche au départ sur une question qui motive l’apprenant.

Cette hypothèse revient implicitement dans un grand nombre de théories de la psychologie cognitive moderne et de la pédagogie moderne que sont respectivement la psychologie et la pédagogie de l’action et de l’inter­action. En fait, par le biais d’études pragmatiques et de la psychologie génétique, les recherches des cinquante dernières années dans le domaine de la psychologie cognitive ont été guidées par l’épistémologie de l’interaction. Dans l’essentiel, la pédagogie en a tiré les enseignements suivants: l’enseignant devrait savoir comment poser des questions – au lieu de se contenter d’expliquer le contenu d’une leçon – et comment amener les élèves à participer activement – en guidant leurs raisonnements – pour qu’ils fournissent des réponses appropriées et posent leurs propres questions. Le point essentiel à retenir est que l’individu est stimulé de manière à réfléchir avec précision quand il ou elle commence à douter.

La pédagogie s’est vue à une certaine époque confrontée avec la théorie du dialogue, dans le sens où l’enseignement doit partir du discours de l’apprenant. Freire (1986) rejette toute attitude excluant le dialogue:

«C’est ce que l’on appelle «castrer la curiosité». Ce qui se passe est un mouvement dans une direction, d’un point vers un autre, c’est tout. On ne fait pas marche arrière, personne ne demande même de le faire; l’éducateur fournit en général une réponse, même si on ne lui a rien demandé.»

Il est essentiel de préciser que dans mes recherches, une question constitue également un problème. Elle peut par exemple poser un véritable défi à l’apprenant quand elle exige une réponse qui n’est pas évidente. Dans un cas semblable, la question et le problème ne font qu’un.

Cette étude vise plus particulièrement à comprendre le processus qui consiste à poser un problème – à comprendre le mécanisme qui part des interactions pédagogiques pour aboutir à la formulation du problème. Ce mécanisme, qui n’est pas encore clairement défini, est partagé entre la formulation de questions et la recherche de réponses concernant une chose dont on espère qu’elle deviendra un problème mathématique. Ce mécanisme dynamique qui doit nous permettre d’arriver à poser un problème est ce que j’appelle la problématisation.

Si tout va bien, la problématisation débouche sur un problème. Ce processus n’aboutit pas forcément à un problème mathématique, ­toutefois, dans une classe de mathématiques, nous attendons que la recherche d’un problème bien posé permette aux élèves d’atteindre un certain niveau d’apprentissage dans ce domaine. En réalité, tout apprentissage lié à la problématisation commence au moment où le processus de problématisation est entamé. Dans le cadre de cette étude, je me suis penchée sur un type particulier de problématisation qui commence avec les questions qui sont formulées entre les élèves et leur enseignant et qui sont le produit de leur contexte social.

En bref, le but de cette étude était de mettre en relief l’attitude des élèves quand leur enseignant – outre le fait qu’il prenne l’action et le dialogue au sérieux dans le cadre de sa pédagogie – adopte une approche des mathématiques par l’extérieur. Dans mon analyse de cette approche (qui implique que l’enseignant tienne compte de l’importance du contexte socioculturel dans le processus d’apprentissage et d’enseignement), j’ai tenté de comprendre la signification, la valeur et le rôle de ce processus particulier de problématisation dans les cours de mathématiques, du CP à la quatrième.

Cet article, qui prend le processus de problématisation comme point de départ de l’apprentissage et de l’enseignement des mathématiques, a un double objectif: d’abord, celui d’aider les enseignants à accepter l’hypothèse selon laquelle il est fondamental que les élèves posent des questions pour pouvoir apprendre et ensuite, d’examiner d’un œil critique quelques-unes des méthodes qualifiées «d’actives», que l’on emploie pour enseigner les mathématiques – par exemple les méthodes que l’on utilise pour résoudre des problèmes que l’enseignant a formulés au préalable.

Connaître ses propres processus cognitifs

Mes recherches sur la formulation de problèmes ont sans l’ombre d’un doute été motivées par le souhait d’obtenir un processus de problématisation qui me permettrait de trouver des arguments efficaces pour le présenter comme moyen d’acquérir des connaissances. Le processus de problématisation que j’ai élaboré est le fruit des efforts que j’ai entrepris de passer au crible l’ensemble confus de questions et de ­réponses qui ont découlé de ma question initiale: comment un enseignant peut-il introduire et appliquer la problématisation dans le processus d’enseignement et d’apprentissage des mathématiques?

Il peut paraître que ces efforts et leur résultat coulent de source, toutefois à un certain point de mes recherches, j’ai pris conscience de mes propres incertitudes et me suis délibérément efforcée de les examiner avec minutie et d’en tirer des enseignements. J’avais l’impression d’avoir toujours su de quoi je parlais puisque j’avais moi-même formulé les questions. Personne ne me les avait posées et je ne les avais pas découvertes par hasard; elles étaient le fruit de ma perception de la relation qui existe entre les différents facteurs à prendre en compte.

Je devrais aussi souligner que réfléchir sur mes propres actions pour comprendre quand et pourquoi mes processus de problématisation (et ceux de mes étudiants) arrivèrent à maturité, me permit de comprendre la chose suivante: il existe un lien étroit entre la réflexion et l’action. L’une ne précède pas l’autre, quoique les métaphysiciens affirment que l’action procède de la réflexion. La réflexion et l’action sont liées dans un rapport dialectique et chacune est source de motivation pour l’autre. Ainsi, nous agissons, et l’acquisition du savoir est le fruit de nos actions.

Il est également important de comprendre de quelle manière mes idées ont évolué du point de vue dialectique. Durant mes recherches, de nombreuses idées contradictoires coexistaient en moi. À un moment donné, du fait que les mathématiques en elles-mêmes offrent des réponses ou formules toutes faites que je savais déjà enseigner de manière suffisamment intéressante et dynamique pour captiver mes étudiants, je pensais par exemple qu’il pouvait être anachronique d’utiliser comme point de départ un problème posé par le groupe et généré de l’extérieur par les mathématiques. D’un autre côté, mes réflexions me conduisirent à un autre moment à prendre une position radicalement différente que je décrirais ainsi selon les termes et idées de Freire (1986): «Ce n’est qu’en s’écartant des questions qu’il faut chercher des réponses.» (p. 46). En d’autres termes, s’il n’y a pas de questions, il n’y aura pas de leçons. Effectivement, selon ce point de vue freirien, on pourrait dire que s’il n’y a pas de questions, il n’y aura rien à dire, rien à enseigner, rien à prendre en compte.

Les réflexions qui sous-tendent le processus de problématisation

Avant d’aborder le travail en lui-même, je souhaiterais répondre aux questions suivantes: a) pourquoi ai-je choisi de me pencher sur la problématisation comme moyen d’apprendre et d’enseigner les mathématiques? b) Pourquoi ai-je opté pour la problématisation et la formulation de problèmes dans le cadre des activités scolaires quotidiennes?

J’ai tout d’abord été profondément influencée par des pédagogues et mathématiciens qui accordaient une importance particulière à l’apprentissage actif que produit la réalité sociale des élèves.

Deuxièmement, bien que je me sois consacrée à la résolution de problèmes en tant que moyen d’apprentissage des mathématiques, la nécessité de relier cette matière à l’expérience des gens dans la vie est vite devenue primordiale. À mesure que je changeais, je me mis à rejeter les problèmes tout faits (ces textes mignons ou ingénus que l’on ne connaît que trop sous le nom «d’exercices de résolution de problèmes») et, par conséquent, à rechercher des questions engendrées par la réalité sociale des élèves pour y puiser le matériau qui servirait à construire leur savoir mathématique. C’est alors que j’ai commencé à détourner le débat du thème de la résolution des problèmes pour l’axer sur celui de leur formulation, mettant en relief la problématisation en tant que moyen d’atteindre l’objectif du problème formulé. Cette position pédagogique était issue de mon expérience, de ce que j’avais observé et de mes réflexions concernant les choses suivantes:

  • le processus de problématisation est un mouvement productif orienté vers le changement social, ce qui signifie que l’attitude du professeur de mathématiques peut permettre aux élèves d’étendre la conception qu’ils ont de leur vie sociale;
  • l’objet du savoir peut être plus ou moins intériorisé par l’élève selon ses besoins ou centres d’intérêt. Cette attente est liée à la conviction que le savoir mathématique commence avec la question que l’apprenant a générée [4]. En effet, on entend ici «placer les enfants, leurs centres d’intérêt, leur travail et leur expérimentation au cœur de la pratique pédagogique et éliminer les aspects indésirables des programmes d’enseignement» (Skovsmose, 1990, p. 116);
  • le travail pédagogique qui est le fruit des situations issues de la réalité sociale des élèves est un moyen créatif permettant de motiver l’apprenant et l’enseignant des mathématiques. Les effets considérables et changements positifs produits par ce type de méthodes ont été démontrés dans des classes où on les employait – et plus particulièrement quand l’enseignement des mathématiques reposait sur l’élaboration de modèles;
  • en tant que professeurs de mathématiques, nous devons être en mesure de réfléchir et de discuter sur ce que le groupe produit – en d’autres termes, nous devons être capables de prêter attention au processus d’évolution des élèves au lieu de nous borner à enseigner des contenus. Lerman (1989) met en relief le problème entre le «contenu et le processus», qui constitue l’un des plus grands obstacles au développement de l’apprentissage des mathématiques.

Troisièmement, le point central du processus de problématisation, et particulièrement celui du type de problématisation décrit plus haut, est profondément lié à ma position vis-à-vis de la formation aux mathématiques. Les éléments principaux de ce processus sont entre autres les suivants:

  • action;
  • dialogue;
  • approche des mathématiques par l’extérieur;
  • affirmation du lien entre la société et l’école/l’éducation et la politique;
  • renouvellement de la conceptualisation de la notion de conditions préalables pour l’apprentissage des mathématiques.

En ce qui concerne l’action, le rôle de l’enseignant consiste selon mon opinion à motiver l’élève, confronté à de nouvelles situations au sein de sa réalité, à se comporter de manière à les examiner, à les analyser et, si possible, à les modifier. L’action comprend également ce que l’élève exécute avec des objets et sa coordination mentale. En effet, l’action est la dynamique des conflits intellectuels auxquels les élèves font face lorsqu’ils se trouvent confrontés à la possibilité de prendre en main leurs propres réflexions mathématiques.

J’entends par le terme de dialogue que l’enseignant doit faire preuve de patience à l’égard des différents points de vue et trouver les similarités qui lui permettent d’établir une communication axée sur un ­objectif commun recherché par le groupe. Par conséquent, quand je parle d’action et de dialogue, je distingue au moins deux choses: premièrement, que l’on agit de manière autonome, par soi-même, suivant certaines situations sociales ou matérielles et deuxièmement, que l’on réalise des choses et que l’on réfléchisse sur elles en coopérant socialement, en faisant des efforts en groupe (du point de vue du groupe). La communication et la coopération sont des facteurs essentiels dans ce type de processus de développement intellectuel.

Selon d’Ambrósio, une approche des mathématiques par l’extérieur se définit comme suit: (a) un champ de recherches dans lequel les mathématiques créent des interactions entre elles et d’autres champs d’études – en d’autres termes, des mathématiques au service du monde; (b) en ce qui concerne le processus d’apprentissage et d’enseignement, l’enseignant doit prendre en compte le contexte socioculturel de ses élèves. Ces derniers examinent leur situation sociale et utilisent pour cela les mathématiques comme un langage qui leur permet de comprendre, d’interpréter et éventuellement de modifier cette réalité. Par conséquent, au contraire de l’approche par l’intérieur pour laquelle les mathématiques constituent un moyen explicatif classique se composant d’un ensemble d’affirmations liées à des connexités logiques ancrées dans les mathématiques, l’approche par l’extérieur fournit des modèles mathématiques et des structures conceptuelles issus de phénomènes qui ne proviennent pas de systèmes de ­symboles existant dans ce domaine. En gros, un point de vue extérieur accepte les aspects socioculturels comme facteurs principaux de ­l’action pédagogique.

Pour ce qui est du lien étroit entre l’école et la société, il est fondamental que les enseignants reconnaissent l’éducation en tant que processus social. L’éducation mathématique doit par conséquent être considérée principalement comme un tel processus. Promouvoir un lien étroit entre l’école et la société implique deux choses: premièrement, que l’on aborde les problèmes de toute la communauté scolaire en les considérant comme des problèmes institutionnels et pédagogiques et deuxièmement, que tous les efforts entrepris pour inculquer des notions et techniques de mathématiques soient liées à leur mise en pratique au quotidien. En fait, le système pédagogique axé sur la formulation de problèmes, que j’ai élaboré fait largement usage, comme ceux de Freire et de d’Ambrósio, de la vision de Dewey selon laquelle il est nécessaire qu’enseignants et élèves connaissent et prennent en compte la vie de la communauté sur place.

Enfin, le renouvellement de la conceptualisation de la notion de conditions préalables pour l’apprentissage des mathématiques signifie qu’en raison de ses caractéristiques, le processus de problématisation exige de considérer de façon particulière ce que l’on estime être les conditions préalables nécessaires à l’acquisition de nouvelles connaissances, en particulier quand nous enseignons du CP à la quatrième. Cette nouvelle conception s’oppose à celle qui est en usage dans l’enseignement traditionnel des mathématiques et qui se fonde sur la notion élémentaire selon laquelle l’apprentissage de cette matière a une forme logique qui implique qu’un ensemble d’acquis antérieurs soient réunis si l’on veut apprendre de nouvelles choses. Du point de vue de la problématisation, l’un des prérequis pour l’apprentissage des mathématiques consiste à examiner ce que les élèves savent du nouveau sujet mathématique qui doit être enseigné, dans quelle mesure ils le connaissent et quelle expérience ils en ont déjà fait dans le domaine des mathématiques. En résumé, la condition préalable dans cette nouvelle vision est ce que l’apprenant comprend du nouveau concept mathématique plutôt que ce le mathématicien voudrait qu’il sache et comment il aimerait qu’il acquière ces connaissances. Par exemple, si un groupe d’élèves de CM1 doit se pencher sur un problème mathématique exigeant d’eux qu’ils comprennent le concept de superficie bien qu’ils ne l’aient encore jamais étudié systématiquement, comment l’enseignant devra-t-il aborder la situation? Dans ce contexte, l’enseignant n’entraverait sûrement pas la recherche d’une solution et n’essaierait pas non plus d’arrêter ce processus pour expliquer étape par étape la notion de superficie au moyen d’un modèle mathématique (ex.: en exposant la notion d’unités au carré, l’addition de ce type d’unités, leur multiplication, etc.). À la place, l’enseignant devrait vérifier ce que les élèves savent de la notion de superficie et, si possible, les aider à s’en faire une idée plus intuitive et plus concrète (ex.: en invitant les élèves à recouvrir l’espace à mesurer avec des feuilles de journaux pour déterminer qu’il fait, disons, 25 feuilles).

Stratégies de problématisation

Pour favoriser le processus de problématisation, j’ai suggéré que l’enseignant le déclenche au moyen de différentes stratégies. Celles-ci ont deux origines principales: l’une est l’expérience que j’ai acquise dans le domaine du processus de problématisation et de la formulation de problèmes durant des cours de mathématiques du projet «Interdisciplinarité par le biais d’un thème génératif» où les élèves employaient cette méthode d’apprentissage. Ce projet a été conçu dans le cadre du programme intitulé: «Le mouvement de réorientation des programmes» qui reçut le soutien du Conseil des établissements d’enseignement de São Paulo de 1989 à 1992. Ces deux projets étaient axés sur les idées de Paulo Freire, selon lesquelles les pratiques naturelles des élèves et leurs connaissances doivent entrer en ligne de compte dans le processus scolaire d’enseignement et d’apprentissage. En 1989, le célèbre éducateur brésilien Freire devint secrétaire du Conseil des établissements d’enseignement de São Paulo. Ma contribution et ma participation à ce mouvement concernaient le domaine des mathématiques et s’axaient sur le développement professionnel de l’en­seignant. Ces stratégies furent également au cœur des recherches que j’effectuai pour ma thèse. Leur deuxième origine venait des conceptions, vues et attitudes concernant l’apprentissage et ­l’enseignement telles que les exprimaient les théoriciens que j’ai cités auparavant.

Les stratégies que je suggérai aux enseignants d’employer pour ­déclen­cher et faire évoluer un processus de problématisation étaient les suivantes:

  • mettre en évidence une situation/un dialogue du contexte scolaire: l’enseignant doit sans cesse rechercher des situations qui soient importantes aux yeux des élèves puis aider ces derniers à mener un débat à leur sujet de manière à développer un processus de problématisation. C’est ce que j’appelle stratégie spontanée (SS);
  • motiver les élèves/leur demander de choisir un «thème générateur»: l’enseignant invite les élèves à choisir une situation qui fait partie de leur réalité sociale (en d’autres termes un thème) et doit les aider à observer et à étudier les faits qui la sous-tendent de manière à déclencher un processus de problématisation. C’est ce que l’on désigne du terme de stratégie à thème générateur (STG);
  • présenter un thème aux élèves: l’enseignant choisit un thème dont il sera débattu (de préférence un sujet qui puisse l’aider à introduire des contenus mathématiques importants). L’artifice dont l’enseignant fait usage, ou son action, consiste à pousser les élèves à poser des questions liées au thème choisi. C’est ce que je nomme stratégie provocatrice (SP);
  • analyser la solution d’un problème ayant été résolu: l’enseignant part d’un modèle mathématique à partir duquel un certain problème a déjà été formulé. De là, il peut présenter et analyser d’autres problèmes, si possible dans un autre contexte, en utilisant le même instru­ment mathématique. C’est ce que j’appelle stratégie analogique (SA).

L’étude que j’ai menée s’est déroulée lors du premier semestre d’un cours de mathématiques de sixième dans une école publique de São Paulo. La classe comprenait 36 élèves et était considérée comme la plus faible de l’établissement, avec de mauvais résultats en mathématiques et dans d’autres matières. Les élèves étaient en moyenne âgés de 14 ans. Ils devaient travailler par groupes de quatre ou cinq pendant toute la durée du cours de mathématiques, et les groupes se formèrent spontanément.

L’observation et l’analyse de documents furent les moyens à l’aide desquels je réunis mes informations. Toutes celles qui sont rassemblées dans cet article sont le fruit de l’analyse de discussions (dialogues entre les élèves et entre ces derniers et leur professeur) qui furent enregistrées et qui pouvaient déboucher sur un problème mathématique. La méthode d’analyse des résultats comprenait un processus qui peut être résumé comme une synthèse de la réflexion et de l’action. En effet, il s’agissait d’une stratégie interventionniste exigeant du chercheur qu’il recueille des informations tout en opérant activement durant les cours de manière à les modifier progressivement.

Le paragraphe suivant présente des extraits de deux dialogues résultant chacun de l’usage d’un des deux types de stratégies mentionnés ci-dessus.

Résultats des discussions

Problématisation résultant de l’utilisation de la «stratégie spontanée».
Sujet de discussion: «mode d’emploi d’un engrais».
Groupe de trois élèves – Mario, Paulo et Taciana – et leur ­professeur.

Le contexte de la problématisation du mode d’emploi d’un engrais était le suivant: quand les élèves de sixième apprirent que la concierge de l’école voulait arroser les plantes avec de l’eau qui contenait de ­l’engrais, ils se montrèrent très intéressés et voulurent l’aider à le ­faire correctement. Leur professeur tint compte de leur discussion et, au ­terme d’un processus de problématisation reposant sur d’autres ­discussions, ils décidèrent d’élaborer une marche à suivre pour ce type d’opération.

Données quantitatives: 7 grands pots de même taille, 6 pots moyens de même taille et 3 petits pots de même taille. Le mode d’emploi de l’engrais indiquait la chose suivante: dissoudre la valeur d’un bouchon de la bouteille d’engrais dans un litre d’eau.

Réflexions sur la première problématisation

Interprétation d’un problème posé au moyen de la stratégie spontanée (SS) – la problématisation élaborée à l’aide de la SS (le professeur s’est contenté de diriger la situation issue d’une discussion et de la ­motivation des élèves) a conduit les élèves à formuler le problème clairement: «Combien de groupes de quatre verres y a-t-il dans vingt-et-un verres et demi?» Cette phrase contient une interrogation relative à la quantité: «Combien?» Nous pouvons donc dire qu’un problème mathématique a été posé puisque l’on peut répondre à cette question par un nombre.

Interprétation du contenu mathématique – l’expérience acquise dans le domaine de l’enseignement m’a permis de voir qu’à ce niveau, les élèves ne sont pas en mesure d’interpréter aisément une relation mathématique telle la suivante: «Combien y a-t-il de x dans y?» La plupart d’entre eux résolvent le problème en employant le raisonnement multiplicatif suivant: «2 X 4, 3 X 4, 5 X 4; il y en a 5 et en il reste 1.» Je savais qu’une interprétation de ce genre exigerait un raisonnement mathématique minutieux si l’on voulait le représenter par une division, et c’est ce que j’ai observé chez les élèves.

Interprétation des différentes attitudes des élèves – la problématisa­tion à laquelle se sont livrés ces élèves était un processus très actif que l’en­seignante pouvait facilement suivre. Les élèves étaient pleins d’enthousi­asme. Seul un groupe manifesta dans sa majorité un manque d’intérêt.

Problématisation résultant de l’emploi de la «stratégie par thèmes».
Thème générateur: «l’édifice inachevé».
Groupe de quatre élèves: Pedro, Mário, Adriana et Napoleão – et leur professeur.

Le contexte de la problématisation de l’édifice inachevé était le suivant: le professeur parla aux élèves d’une activité à laquelle s’étaient déjà livrés d’autres élèves qui s’étaient penchés sur le thème du «génie civil». Motivés par cette discussion, les élèves décidèrent de choisir comme thème central un édifice situé à proximité, dont la construction avait été interrompue pendant dix ans avant d’être reprise quelques temps plus tôt par un nouveau groupe d’ouvriers.

Réflexions sur la deuxième problématisation

Interprétation d’un problème posé au moyen de la stratégie par thème générateur (STG) – les élèves formulèrent le problème suivant à l’aide de la STG et sur le thème de «l’édifice inachevé»: «Combien faut-il de verre pour l’édifice entier?» Ainsi que je l’ai mentionné dans le premier cas, cette phrase contient une question relative à la quantité: «Combien?» Nous pouvons donc dire que la problématisation a produit un problème mathématique.

Interprétation du contenu mathématique – les élèves ne savaient pas se servir des formules de calcul des superficies. Toutefois, ils n’eurent aucune difficulté à résoudre ce type de problème. Le professeur leur montra ce qu’était la superficie d’un rectangle et les élèves l’apprirent facilement, en particulier ceux qui appartenaient au groupe dont le neveu du vitrier faisait partie.

Interprétation des différentes attitudes des élèves – toutes les problématisations élaborées à partir d’un thème générateur se révélèrent très dynamiques et productives. Tous les élèves furent actifs et, d’un point de vue mathématique, leurs questions furent plus intéressantes que celles des autres.

Conclusion

Il semble parfaitement évident que l’intérêt des élèves croisse quand la problématisation et la formulation de problèmes, reposant sur des faits tirés de leur réalité sociale, sont les piliers centraux d’un cours de mathématiques. Les élèves trouvent généralement ce cours passionnant. Vu les effets de la problématisation sur leur attitude en ce qui concerne l’apprentissage des mathématiques, comme mes recherches l’ont montré, j’ai pu identifier, entre autres, quatre avantages particulièrement importants de cette approche, qui étaient les suivants:

  • certains types de problématisation mèneront les élèves à poser un problème mathématique introduisant un sujet qui les incitera à vouloir en savoir plus sur la situation réelle et sur ce sujet à mesure qu’ils essaieront de comprendre et de résoudre le problème;
  • certains processus de problématisation seront essentiellement employés pour présenter certains exercices, ce qui servira à mettre en pratique connaissances et techniques;
  • certains types de problématisation seront employés pour faire la synthèse de ce qu’ont appris les élèves et leur donner l’occasion d’apprendre à exprimer des idées mathématiques;
  • certains types de problématisation et de problèmes «possibles» qui auront été formulés à partir de tels processus pourront aider les élèves à se faire une idée plus nette de ce que sont les mathématiques, de la manière dont elles ont vu le jour et de la raison pour laquelle ils devraient se livrer à leur étude.

Enfin, de nombreux concepts mathématiques ont été étudiés (pendant une durée que j’ai mentionnée auparavant) par ce groupe d’élèves de sixième au moyen d’un scénario interactif dominé par la problématisation et qui comportait, entre autres, les choses suivantes: multiplication, division, élaboration d’opérateurs multiplicatifs, propriété distributive et moyenne.

Les inconvénients du processus de problématisation issu d’une réalité sociale peuvent s’expliquer par les pressions exercées de différents côtés:

  • de telles pressions peuvent être dues à des enseignants qui adoptent un point de vue des mathématiques de l’intérieur (intérieur par opposition à extérieur, comme je l’ai déjà en gros expliqué) et ne travaillent que sur des questions purement mathématiques;
  • elles peuvent également découler des difficultés des enseignants à discuter de leurs points de vue; en d’autres termes, du fait qu’ils n’ont pas l’habitude d’échanger des idées;
  • la structure traditionnelle des emplois du temps scolaires ne permet pas toujours de mener à bien un processus de problématisation approfondi qui demande beaucoup de temps.

Enfin, il faut tenir compte de la résistance potentielle à toute approche innovante mettant à l’épreuve les notions traditionnelles d’apprentissage des mathématiques qui peuvent venir des parents, mais aussi des élèves.

Références

D´Ambrósio, U. (1986), Da realidade à ação. São Paulo: Editora Summus.
D´Ambrósio, U. (1990). Etnomatemática. São Paulo: Editora Ática.
Dewey, J. (1916). How we think. New York: Macmillan..
Freire, P. (1972). Pedagogy of the oppressed. Londres: Sheed and Ward, London.
Freire, P. & Faundez, A. (1986). Por uma pedagogia da pergunta. Rio de Janeiro: Ed. Paz e Terra.
Freire, P. & Shor, I. (1987). Medo e Ousadia. Rio de Janeiro: Ed. Paz e Terra.
Lerman, S. (1989). Investigation: Where to Now? Dans Paul Ernest (Ed.), Mathematics teaching: The state of the art (ch. 6). Basingstoke: Falmer Press.
Skovsmose, O. (1994). Towards a philosophy of critical mathematics education. ­Dordrecht: Kluwer.

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